Le blog d’Emmanuel Wald

Un blog qui parle bouquins, spiritualité, écologie, geekeries, mais surtout bouquins.

Rassemblement national et extrême droite : le point de vue d’un protestant

(Texte rédigé après la victoire du RN aux élections européennes de 2024, et avant leur defaite aux législatives anticipées qui suivirent.)

« Le Seigneur déclare : N’aie peur de personne,
car je suis avec toi pour te délivrer »
Jérémie 1, 8

Je ne crois pas qu’une pasteure ou qu’un pasteur, ou qu’une Église ait à donner de « consignes de vote », ni positives (votez pour…) ni négatives (votez contre…). Il est vrai que l’Évangile est un message avec une dimension politique : pour donner quelques exemples, forcément réducteurs, l’Évangile pose l’égale dignité de tous les êtres humains (Galates 3, 28), enfants et images de Dieu (Genèse 1, 26-27), l’attention à porter aux marginales et marginaux (Matthieu 25, 31-46), ou la séparation du spirituel et du temporel (Marc 12, 17). Mais que l’Évangile soit politique ne signifie pas que l’Église doive devenir politicienne.

Et si elle ne doit pas devenir pas politicienne, c’est en vertu d’une autre idée biblique : notre compréhension du réel est limitée (1 Corinthiens 13, 12). Parce que je suis pécheur, autrement dit, imparfait, je ne peux pas comprendre parfaitement la volonté de Dieu, et je ne peux pas non plus comprendre parfaitement le monde, Création de Dieu. L’Église, et ses membres les chrétiennes et chrétiens, doivent d’abord à mon sens en politique cultiver l’humilité. Les idées, les valeurs, les appels bibliques peuvent légitimement être traduits par des actes et des votes différents. J’en suis convaincu : on peut être chrétien ou chrétienne et de gauche, voire très à gauche, on peut l’être et être de droite, voire très à droite, et on peut l’être sans trop savoir où se placer politiquement. Une même idée, l’égale dignité des êtres humains, peut à la fois se traduire par l’envie d’avoir un État providence fort, qui prend soin des plus faibles, ou celle d’avoir un État minimal, espéré plus efficace tout en empiétant moins sur nos libertés. Une même idée peut aussi avoir différents degrés de radicalité : on peut croire la sauvegarde de la Création possible en redirigeant la croissance pour la verdir, ou l’on peut considérer que la croissance ne saurait être infinie quand la Création est finie, et donc appeler de ces vœux une décroissance organisée.

Le christianisme, selon le beau nom que lui donne Luc dans les Actes des Apôtres, n’est pas une série de doctrines figées : c’est une Voie (Actes 19, 9 ; 23 ; 22, 4 ; 24, 14 ; 22), une route que l’on prend ensemble et sur laquelle on ne cesse d’avancer, de changer, d’évoluer. C’est à chaque chrétienne, à chaque chrétien de faire ses choix par la prière, la méditation de la Bible, les échanges et la réflexion. J’ai mes opinions personnelles, mais je me sentirai toujours plus proche de mon frère ou de ma sœur en Christ avec qui je suis en désaccord politique qu’avec un ou une camarade politique. Nos différences nous permettent, chacune et chacun fidèle à sa tradition politique, de se corriger et de mieux se comprendre soi-même. L’humilité étant partagée, la vie ensemble est alors tout à fait possible et souhaitable, par-delà nos divisions.

Il y a cependant, à mon sens, une condition à poser. Nous croyons en un Dieu-amour : « celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu » (1 Jean 4, 8). Il en résulte que toute politique, tout discours, tout acte, tout programme fondé sur la haine est incompatible avec le christianisme. De la haine, il y en a dans tous les mouvements politiques ; la chrétienne ou le chrétien doit donc toujours veiller à la combattre là où il ou elle est. Mais il y a une tradition politique qui se détache des autres en ce qu’elle est fondée sur la haine : l’extrême droite. Haine de l’étranger ou de l’étrangère d’abord, toujours vu ou vue comme une menace. Haine des minorités ensuite, qu’elles soient de couleur de peau, sexuelles, religieuses(1), … Le tout, dans la droite lignée du nationalisme français issu de la factieuse Action française et du collaborationnisme(2).

Car oui, malgré les cravates et les discours policés, malgré les nouveaux logos et les nouveaux noms, ce qui fait le cœur de l’extrême droite n’a pas changé. Face aux problèmes de notre société, l’extrême droite cherche des boucs émissaires. Gauche et droite, malgré tous leurs désaccords, cherchent à régler les problèmes par les structures, l’extrême droite s’attaque aux personnes qui sont déjà les plus faibles. Or, ce choix est irrationnel (en quoi des personnes sans pouvoir pourraient être la cause des problèmes d’une société ?), il ne peut donc être fondé que sur un sentiment : la haine. C’est bien la haine qui explique que l’assistante d’un élu RN fasse des rondes en ne donnant à manger et à boire qu’à des SDF « blancs », que des jeunes hommes « fêtent » la victoire du RN aux Européennes en agressant un homme jugé homosexuel à Paris, que régulièrement des candidates et candidats d’extrême droite soient surpris à faire des saluts nazis, ou à tenir des propos ouvertement racistes en privé ou encore les alliances européennes du RN et de Reconquête ! avec des partis ouvertement suprémacistes. Tout ça, pour ne citer que quelques évènements qui ont eu lieu entre les législatives de 2022 et celles de 2024.

Je ne veux bien entendu pas dire par là que toutes les personnes qui votent à l’extrême droite sont des personnes haineuses. J’en connais suffisamment, y compris des personnes proches, y compris des personnes que je respecte, que j’aime et que j’admire, pour savoir que ce n’est pas le cas. Mais, consciemment ou inconsciemment, c’est un programme de haine qui est soutenu. Pourquoi des personnes non haineuses voteraient-elles pour un programme haineux ? Pour moi, la réponse est simple : la peur. L’impression d’être rendues petites ou rendus petits, fragiles, mises et mis en danger par une situation devenue hors de contrôle.

Comment ne pas avoir peur en effet, quand l’individualisme érode nos solidarités et protections traditionnelles ? Comment ne pas avoir peur, quand les économies européennes semblent à bout de souffle ? Comment ne pas avoir peur, quand les menaces de guerre nucléaire, que l’on pensait remisées dans les livres d’histoire, refont surface ? Comment ne pas avoir peur, quand le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité paraissent effacer la possibilité même d’un avenir ? Comment ne pas avoir peur quand certains médias, comme une récente commission parlementaire l’a montré, organisent la peur en mettant en avant consciemment des narratifs anxiogènes et mensongers ? Face à toutes ces peurs, il est rassurant de chercher et de trouver des boucs émissaires, ou de se replier sur notre identité, ou encore d’idolâtrer le passé (« rendre sa grandeur à l’Amérique » ; « la France revient ») jusqu’à le transformer en nouveau Veau d’or. Or une idole demande des sacrifices… Ainsi, la haine est déguisée en amour, et celles et ceux qui votent par amour de leurs proches pour qui ils et elles ont peur votent sans s’en rendre compte pour la haine de celles et ceux qui sont plus loin.

Mais face à ces peurs légitimes, il existe une autre réponse que la haine. Une réponse chrétienne : l’espérance. Quand nous lisons la Bible, nous lisons l’histoire de dizaines de générations qui, comme la nôtre, eurent à affronter un monde terrifiant, chaque génération à sa manière. Nous lisons l’histoire de « petites gens », membre d’un « petit peuple ». Qui se souviendrait des Israélites sans la Bible ? Mais parce que Joseph était petit, il a été choisi. Parce que David était petit, il a été choisi. Parce qu’Israël était petit, il a été choisi. Oui, notre situation fait peur, mais nous ne sommes pas seules et seuls pour l’affronter. Le psalmiste pouvait chanter déjà que « quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me rassurent » (Psaume 23, 4). Nous croyons en un Dieu qui prend le parti des faibles : alors, réjouissons-nous de notre faiblesse, portons-la en étendard !

Face au mal, assurées et assurés par la promesse qui nous a été faite, nous pouvons répondre par le bien (Romains 12). Là où nous voudrions nous replier pour nous protéger, ouvrons-nous encore. Là où l’extrême droite nous pousse à faire revivre un passé qui n’a jamais existé, construisons en suivant les plans de l’Évangile le Royaume de Dieu, un Royaume qui non seulement est un idéal à poursuivre, mais aussi une manière de vivre pleinement aujourd’hui. Ancrés et ancrées, enracinés et enracinées dans la foi, l’espérance et l’amour (1 Corinthiens 13, 13), faibles par choix, nous serons fortes et forts, plus que tout ce que ce monde pourra nous faire affronter.


Notes

1 : On se souviendra ici que le protestantisme est une minorité religieuse, certes moins en danger que les deux autres principales minorités religieuses de France, l’islam et le judaïsme, mais tout de même. Marion Maréchal a ainsi pu laisser échapper en 2015 qu’elle mettait la Réforme protestante dans le même groupe que l’Occupation allemande ; qu’elle s’en soit excusée ensuite n’enlève rien à ce que cette « petite phrase » a révélé des idées de celle qui l’a prononcée.

2 : On se souviendra encore que le Rassemblement national a été fondé entre autres par un ancien SS (Pierre Bousquet) et un ancien milicien (François Brigneau) et que Marine Le Pen et Jordan Bardella sont conseillés par des anciens membres du « Groupe union défense », un groupuscule estudiantin néo-fasciste parisien.

© E. Wald, dernière MÀJ : 30/08/2024, CC BY-SA 4.0