Dico : Pasteur·e
Vous êtes tombé·e, ami lecteur, amie lectrice, sur ce site et vous avez appris que j’étais pasteur. C’est un métier assez rare, qui soulève régulièrement les curiosités… Ici, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sans jamais avoir osé le demander sur le métier de pasteur·e !
Un·e pasteur·e (car oui, c’est un métier mixte, qui devient même dans mon église majoritairement féminin(1)), c’est d’abord un·e baptisé·e, un·e chrétien·ne comme un·e autre. Ce n’est donc pas vraiment, comme je l’entends souvent, « un prêtre protestant » ; dans le catholicisme, un prêtre c’est un homme (pour le coup, pas une femme) qui est mis à part du monde, qui dans son être même devient différent des laïques, et c’est pour cela qu’il est le seul à pouvoir dire la messe. Rien de tout cela pour nous : tout·e baptisé·e, pourvu qu’iel ait reçu la formation idoine (dans mon église, c'est un DU) et qu’iel a été reconnu·e, peut célébrer un culte protestant, pasteur·e ou pas.
Un·e pasteur·e, c’est une personne qui a reçu une formation théologique importante, a minima un master, et bien souvent plus (je suis par exemple titulaire d’un doctorat) ou autre (de nombreux·ses pasteur·e·s ont eu une autre vie avant le pastorat et donc une formation et une expérience en dehors de la théologie et de l’Église). C’est une personne en mesure de chercher et de donner du sens, de coordonner dans un lieu précis (une ou des paroisses) les ministères de tou·te·s les baptis·é·s, de faire du lien au sein de la communauté et en dehors d’elle, et qui peut s’y consacrer à plein temps.
Bien sûr, le culte (la prédication et les sacrements) reste le centre de l’activité du pasteur (un culte me demande souvent entre 6 et 8 heures de préparation, plus dans le cas d’un culte spécial comme un baptême ou un mariage) ; même s’iel n’est pas le·a seul·e à pouvoir les célébrer. Mais iel doit accompagner des personnes dans des moments de vie souvent complexes, assurer l’animation ou participer à l’animation de différents groupes qui tournent autour de la paroisse (enfants, catéchumènes, jeunes, groupes de lecture de la Bible, groupes de prière, groupes de maison, groupes œcuméniques ou interreligieux, clubs féminins et « ouvroirs », résident·e·s d’EHPAD, …(2)), assurer les relations avec les pouvoirs publics, communiquer, iel a un droit de regard, et bien souvent s’occupe des questions administratives et financières, … Heureusement, iel n’est pas seul·e ! Iel travaille au sein de plusieurs collectifs de pasteur·e·s, et surtout il fait partie d’une équipe, composée majoritairement de non-pasteur·e·s, qui peut prendre des formes assez différentes en fonction du lieu, avec de plus en plus souvent d’autres ministres rémunéré·e·s par l’église, mais surtout de nombreux·ses bénévoles.
Et cela est particulièrement important pour moi. Il fut un temps où pasteur était un métier solitaire. Pour caricaturer, le conseil presbytéral était une sorte de conseil de surveillance plus que d’administration, chargé de valider ou d’invalider les idées du ou de la pasteur·e… et il n’était pas forcément évident de s’opposer au ou à la pasteur·e ! Certain·e·s paroissien·ne·s, membre du conseil ou non, avaient un rôle d’assistance du ou de la pasteur·e. Et chaque paroisse était une entité plus ou moins autonome. Cette vision, pastoro- et paroissio-centrée est aujourd’hui, et je le pense heureusement, dépassée. Déjà, parce que même s’il n’y a pas, en tous cas en UÉPAL, de « crise de vocations », il n’y a plus autant de pasteur·e·s que de paroisses, et ce mouvement va s’amplifier avec le départ à la retraite de la génération baby-boom(3). Les pasteur·e·s ne peuvent donc plus être partout. Ensuite, parce que notre société tolère de plus en plus mal les structures par trop verticales, et l’église faisant partie de la société, les mêmes évolutions ont lieu. Enfin, parce que la théologie protestante a en son cœur une notion qui aurait dû empécher le ou la pasteur·e d’être seul·e : le sacerdoce universel, qui pose l’égalité parfaite de tou·te·s les baptisé·e·s dans l’église(4), et ce depuis le xvie siècle.
Pour moi, un·e pasteur·e c’est d’abord un formateur. C’est là sa spécificité par rapport aux autres paroissien·ne·s et aux autres ministres. Je reprends souvent une notion issue du féminisme (et arrivée dans le Petit Robert en 2024) : l’enpouvoirement. Mon rôle en tant que pasteur, donc longuement formé pour être autonome dans ma lecture de la Bible, ma vie de prière, et ma vie au service de l'Église et du monde, et dans l’évangélisation, c’est d’accompagner celles et ceux qui n’ont pas eu la chance de faire de la théologie universitaire, pour les aider à s’autonomiser, et à autonomiser leurs communautés. Les paroisses n’ont pas besoin de moi ! Pasteur·e, pour moi, c’est ce métier paradoxal où l’on doit tout faire pour ne plus être utile.
Notes
1. Il y a ainsi dans mon église, l’UÉPAL, 53% d’hommes ministres, mais ils sont 65% chez les plus de 60 ans et 25% chez les moins de 30 ans. ⬏
2. Évidemment, tous ces groupes n’existent pas au même moment dans toutes les paroisses, et il en existe encore d’autres sortes. ⬏
3. Ces deux idées peuvent sembler contradictoires, mais il me semble que pour qu’il y ait « crise de vocations », il faut que le nombre de vocations baisse plus vite que le nombre de paroissien·ne·s. C’est le cas dans l’église catholique, qui reste une grande église avec des demandes en baisse mais qui restent importantes, alors que dans le même temps, le nombre de nouveaux prêtres est bas (122 nouveaux prêtres en 2022 par exemple alors qu’il y a dans les 13 000 prêtres en France, avec encore plus de 1000 ordinations en 1950). Dans les églises protestantes de France, le nombre de nouveaux et nouvelles pasteur·e·s a beaucoup baissé, mais à peu près au même rythme voire moins rapidement que le nombre de paroissien·ne·s actif·ve·s. Ainsi, le ratio pasteur·e par paroisse a baissé, mais pas le ratio pasteur par paroissien·ne actif·ve n’a pas beaucoup bougé. Il y aura ainsi cette année en 2024 6 ordinations de nouveaux·elles pasteur·e·s (dont moi !), et deux accueils de pasteur·e·s déjà ordonné·e·s dans une autre église, soit 8 nouveaux·elles pasteur·e·s pour un peu plus de 200 pasteur·e·s en exercice (je n'ai pas retrouvé le chiffre pour 1950, mais je soupçonne que cela devait être autour de 20). Les départs à la retraite des pasteur·e·s boomer·euse·s se ressentent, mais les nouvelles générations sont là ! ⬏
4. Je décris plus avant le sacerdoce universel dans ma page sur le protestantisme. ⬏
© E. Wald, dernière MÀJ : 29/08/2024, CC BY-SA 4.0